Grèce 2012

Grèce 2012

RANDONNEE DANS UN PAYS EN CRISE

Le projet

Cordoue – Cordouan avait soudé le groupe. Quelle serait la destination du voyage suivant ? La Grèce faisait la une de l’actualité, Jacquot a eu envie d’aller y faire un tour. Nous repartons donc tous quatre, Jacquot, Michel, Jacques et moi.

Michel s’est chargé de tracer l’itinéraire, la rareté des terrains de camping ne simplifiait pas sa tâche ; sans parler du relief, qui n’apparaît guère sur une carte au 1 /800 000ème.  Je connaissais un peu le pays… un seul coup d’œil sur la feuille de route et j’avais déjà mal aux cuisses !

Il y a des tas de manières de vivre un voyage à vélo ; la mienne est toujours plus contemplative que sportive ! j’étais heureuse de rendre visite aux petits-enfants d’Ulysse et de Platon, traverser leurs montagnes, fouler la poussière et les ruines de leurs monuments, entendre leur langue, la comprendre un peu à l’écrit (le grec actuel n’est pas si différent du grec ancien) et baragouiner quelques mots au fil des rencontres. En somme, m’offrir une parenthèse hors du temps.

Dans les temps héroïques, le mendiant, le vagabond, le piéton voyageur étaient sacrés: leur manteau pouvait cacher un dieu venu « inspecter » les hommes. Voyageant à peu de frais et à la force du jarret, nous étions dans cette tradition;  les chiens étaient les seuls à ne pas s’en rendre compte, sales bêtes ignorantes !

La marche d’approche

Nous sommes donc partis en voiture de Royan le 6 mai ; 2 jours et demi plus tard, nous embarquions à Venise en laissant le véhicule stationné à proximité, chez un ami de Jacquot.

On embarque. Première surprise : le ferry, guidé par ses remorqueurs, remonte le Grand Canal,  le magnifique spectacle de la Cité des Doges se déroule sous nos yeux ; les appareils photo mitraillent ! Ensuite, le large, une nuit sur la moquette entre deux rangées de fauteuils, une journée d’attente et enfin, « terre ! », arrivée et débarquement au soleil couchant à Igoumenitsa, tout au nord de la Grèce, à 10 km de l’Albanie.


On voit tout de suite ce qui nous attend pour le lendemain : la montagne plonge dans la mer, du bateau on voit la route qui s’élève en zig-zag. Pas grave : après cette traversée, nous avons tous des fourmis dans les jambes.

J1 (Mercredi 9 Mai) : Igoumenitsa, premier bivouac

Le temps de prendre les photos rituelles, la nuit est tombée.

L’arrivée dans un pays étranger est toujours un peu stressante, surtout de nuit : comment se comporte-t-on avec les vélos ?  la signalisation est-elle visible ? ou tout simplement : sur quelle route sommes-nous exactement ? En fait, il y a toujours de l’inattendu et cette arrivée n’a pas fait exception à la règle. Selon les guides consultés, un camping nous attendait à Drepano, 4 km plus au nord ; nous avons brillamment trouvé l’emplacement du terrain de camping ; mais de camping, point : fermé, squatté, dévasté, ignoble ! nous avons donc dressé les tentes un peu plus loin, sous des eucalyptus, dans un joli coin de bord de mer auquel il ne manquait que des douches pour faire notre bonheur. Je ne me souviens plus comment nous avons résolu le problème de l’eau, je pense que nous avions le minimum vital dans les bidons.

J2 (Jeudi 10 Mai) Igoumenitsa / Joannina

Cumul : 120 km ; dénivelé : 1913m

Des vaches sont venues nous sonner le réveil ; le lait sans les croissants…10 05 A

Retour à Igoumenitsa en longeant un rivage idyllique par une piste cyclable ; nous n’en rencontrerons qu’une seule autre dans tout le voyage. Beaucoup de sacs en plastique et autres saletés sur le bord de la piste ; ça, nous n’avons pas fini d’en voir.

Première vraie surprise : impossible d’obtenir un coup de tampon sur nos cartes de route. Les commerçants n’en ont pas, ce qui en dit long sur la tenue des livres de comptes… Je visite le poste de police en suivant la voie hiérarchique, finalement le commissaire m’explique d’un air soucieux que non, ce n’est pas possible… à la banque voisine, même chanson et c’est la directrice de l’agence qui remplit les cartons à la main, sans y apposer de tampon.

On complète la soute aux vivres et c’est parti pour la grimpette: Ca monte, ça descend, ça remonte : avec nos randonneuses chargées (35 à 40 kg) la mise en jambes est rude ! Il y a  les cols « homologués » et les autres. Les grecs ont inventé la médecine, l’architecture, la trigonométrie et autres belles choses, mais pas le terrain plat. Nous sommes sur l’ancienne route nationale, très peu fréquentée depuis l’ouverture d’une belle 4 voies ; nous la voyons de loin, tantôt dans les airs sous forme de viaduc, tantôt en contre-bas quand elle emprunte un tunnel. Je me demande qui a payé la construction …

Le temps n’est pas du tout tel qu’on l’avait imaginé ; nous saurons vite qu’en Grèce aussi on peut se mouiller le cuir ! Par chance, nous traversons un village quand l’orage éclate, le patron d’une « taverna » nous fait signe, c’est de sa terrasse que nous contemplons le déluge ; la chanson de Brassens me revient : « un soir que Jupiter, avec des cris d’putois, allumait ses feux d’artifice … » Justement, on n’est pas loin de Dodonne, sanctuaire où les prêtres interprétaient les bruits de la nature pour connaître les volontés de Zeus/ Jupiter ; il est très net que pour l’instant il nous ordonne de boire une bière ! Nous obéissons, il se calme, nous repartons…


A Joannina, après avoir « fait des vivres », nous tournons interminablement à la recherche du camping ; nous n’avons pas encore le truc pour interpréter la signalisation ! Il est tard ; pour une demi-nuit, le patron nous fait un demi-prix .

Le camping est confortable, avec tables et bancs à l’abri : nous réveillonnons joyeusement ; au menu : vin du pays, un vin rosé assez sucré (1,5 litre, pas de reste) ; feuilles de vigne farcies, graine de couscous et keftédès (boulettes de viande de bœuf parfumée à la menthe ou autres herbes), yaourts grecs.

 

J3 (Vendredi 11 Mai)  Joannina / Metsovo

Etape : 55 km pour Jacques et moi ; beaucoup plus pour Jacquot et Michel.


Je n’ai pas noté le dénivelé du jour… Jacquot et Michel ont décidé de faire un crochet pour visiter les vestiges de Dodonne ; la voix de Jupiter dans les frondaisons nous ordonne, à Jacques et moi, de prendre notre temps et d’examiner mon matelas qui, depuis que nous avons quitté Royan, se dégonfle inexorablement toutes les nuits et me laisse échouée sur le sable vers 3 heures du matin. Justement, la ville de Joannina se trouve au bord d’un fort beau lac de tourbière que je photographierai abondamment en remontant. En équilibre sur un ponton, je tente d’enfoncer mon matelas dans l’eau du lac pour repérer la fuite, au risque de sombrer moi-même ; essai infructueux, il faudra trouver une autre méthode ; si Zeus veut.

Avec une pensée pour nos deux courageux en train de grimper cols et raidillons pour l’amour de l’archéologie, nous démarrons enfin ; il ne faudrait tout de même pas qu’ils arrivent à Metsovo avant nous ! Nous savons que nos talents de « descendeurs » ne seront pas beaucoup sollicités aujourd’hui.

Un fort vent s’est levé, qui chasse les orages ; une sorte de mistral de plus en plus violent qui, malheureusement, nous est contraire.

Pendant une vingtaine de kilomètres nous montons en contournant le lac de Joannina. La plaine est bien cultivée, avec des parcelles alignées à la romaine ; des iles et des canaux découpés dans les tourbières d’un beau vert intense ; diverses rencontres : une tortue, des chiens, serpents, vaches, moutons – sans parler de nombreuses carcasses d’animaux écrasés. Notre vieille route, pas très entretenue, zigue-zague autour de la belle autoroute et monte, monte, monte.

Quand nous arrivons à Metsovo ( jolie station touristique à 1200m d’altitude), le ciel est devenu menaçant ; pas de camping ni de surface plane mais plein d’hôtels ; nous choisissons l’un des premiers pour éviter de descendre dans la cuvette (pente supérieure à 15%). Je me demande ce qu’ils peuvent bien faire de leurs Anciens, les habitants de ces villages incroyablement pentus.

Les deux courageux arrivent en même temps que l’orage. Il faudra aussi se mouiller pour aller dîner mais le patron de l’hôtel nous fournit des parapluies.

 

J4 (Samedi 12 Mai)  Metsovo / Kastraki par le col de Katara

Etape : 71 km ;  dénivelé total des 2 jours: 2454m

L’hôtel Anax, ce qui signifie « prince », était vraiment sympathique . Pour le décor, de très beaux tapis kilim tissés à la main par la mamma ; pour le confort, des lits à l’allemande, immenses ; le petit déjeuner est plantureux : œufs durs, feta, pain, biscottes, gâteaux, confitures, miel, beurre, melon confit… Nous partons bien lestés pour franchir les derniers 500 m du col de Katara.


La route est très bien dessinée et fort peu entretenue (ce sera souvent le cas) et d’ailleurs interdite à la circulation ; est-ce à cause de la neige, encore abondante dans les fossés ? On monte par des rampes à 5%, 6%, rarement plus de 7% ; il y a des troupeaux, des bergers et leurs chiens : je ne m’attendais guère à ce paysage d’alpage.

Le dernier kilomètre est quasiment plat, on arrive au col en roue libre ! Un vent violent nous y attend, toujours contraire : parfait, cela économisera nos patins pendant les 1000 m de descente.

Plus bas, réfrigérés et affamés, nous nous arrêtons dans un village, dans un « restaurant » (en français sur l’enseigne) assez miséreux. Le fricot sent bon et ne nous déçoit pas. Juste en face, un vieil homme essaie de vendre des bocaux de fruits conservés dans un sirop épais. Beaucoup de véhicules s’arrêtent pour remplir des jerrycans d’une eau abondante et fraîche qui sourd de la montagne. Et voici des camions de moutons, avec bergers et chiens qui approchent en convoi, s’arrêtent à la fontaine puis reprennent leur marche dans la direction des alpages. Les moutons partent en vacances ! Nous en verrons, des moutons : souvent bruns, pas tondus, en troupeaux nombreux que suit un berger à la démarche altière, sorte de général des moutons entouré d’un état-major de chiens.


Des rafales violentes semblent annoncer l’orage ; nous en prenons plein les yeux, le nez, les bronches, mais l’orage s’écarte de notre chemin . Et ça descend toujours…

Puis le relief change, le paysage n’a plus rien d’alpin ; ce sont les Météores qui se dévoilent, nous voici à Kastraki : Un petit terrain recommandé par le Routard, nous accueille au pied du Grand Météore ; nous allons faire griller des saucisses  juste sous le nez des moines en attendant de leur rendre visite.


J5 (Dimanche 13 mai)  Kastraki/ Sophrades

Parcours : 79  km ; dénivelé : 388 m (la hauteur du Grand Météore)

La matinée va être consacrée à la visite d’un monastère, celui de la Transfiguration, dans le Grand Météore. Il faudra se cacher les jambes (même les hommes !!!) pour visiter sans éveiller de coupables pensées dans l’ âme chaste des moines…J’ai prévu de m’enrouler les jambes dans ma serviette de toilette, bien heureuse encore que la visite ne soit plus interdite aux femmes. Du reste, je ne sais pas si le Tartuffe qui tenait la caisse aux cartes postales était un moine, un frère lai ou un novice attardé, mais il m’a rendu la monnaie d’une façon étrangement… disons…  affectueuse.

Sans les sacoches et le barda qui nous attendaient au camp, je me suis sentie aérienne pendant au moins… 30 mètres. On accède au monastère par 5 km d’une montée impitoyable qui m’ont paru d’une brièveté inattendue à la descente. Le paysage est stupéfiant : les Météores sont des pitons rocheux qui se dressent verticalement dans la grande plaine de Thessalie ; le Créateur les aurait fait tomber du ciel pour permettre aux ascètes de se rapprocher de Dieu pour prier ; au XIVème siècle, les moines qui vivaient jusque-là dans des grottes construisirent des monastères perchés en haut des rochers pour échapper aux Turcs, aux Albanais ou aux diables en jupons. Sur 24 monastères, 6 sont encore en activité.

On n’est plus au temps des échelles et des paniers hissés grâce à une poulie et un treuil, mais les escaliers sont nombreux et la route franchement raide. Vu d’en bas chaque monastère paraît petit ; en fait, chacun comporte toute une série de bâtiments, accrochés au piton de façon plus ou moins acrobatique : cloître, bibliothèque et scriptorium, église (couverte de peintures aux couleurs vives), cuisines, réfectoire, cellules etc ; tout ne se visite pas. L’un des bâtiments abritait un musée des traditions populaires : on y voyait surtout des mannequins de soldats en jupettes (c’est le costume traditionnel) aux moustaches particulièrement martiales et des portraits de héros des différentes guerres.


J’aurais bien voulu photographier mes compagnons dans l’église, parmi les popes et les saints coiffés d’auréoles qui peuplent les fresques ; mais le bon frère qui veillait au respect de l’interdiction ne donnait pas envie de discuter…

Après les Météores, nous devions traverser  la Thessalie ; ce fut bien le passage  le moins intéressant du voyage : la route, large et fréquentée,  jalonnée de carcasses de chiens écrasés, évite les rares villages pour traverser cette plaine informe et uniformément laide. Pas de bosquets ni de rideaux de peupliers, des talus et coins de champs en friches, divers dépôts en souffrance…Seuls cafés-points d’eau : les stations-essence ; et moi qui croyais m’être affranchie de la dictature du pétrole ! Ce n’était pas très engageant pour installer un bivouac ; nous avons pourtant fini par trouver un coin convenable, sans hautes herbes ni ronces et bordé de coquelicots géants d’un rouge carmin somptueux. Une voie ferrée passait à proximité (la Grèce n’a que deux lignes !), parcourue par un petit train couvert de tags qui passait et repassait, toujours à vide.


Le sol est irrégulier, les mottes meurtrissent mes omoplates, je n’ai toujours pas résolu mon problème de matelas…

 

J6 ( lundi 14 mai)  Sophradès – Lamia – Stylida

Etape : 99km. Cumul : 424km . Dénivelé : 1 276m

Une nuit chaude et moite (il tombe un gros crachin) sur des corps poisseux de sueur, rien de tel pour apprécier le confort des jours fastes…Les pieds boueux et la tête hirsute, mes compagnons ont le droit de me trouver un peu ronchon,  aucun ne se risque à m’en faire la remarque.

La plaine n’est pas moins déprimante sous la pluie, par chance les montagnes se profilent déjà à l’horizon. Des rampes régulières à 5% nous mènent à un premier col à 800m ; le suivant,  le col de Kourta devait nous faire grimper à 1200m… la route a été rectifiée et rabotée ; d’ailleurs, aucun panneau ne permet d’immortaliser par une photo notre (très relatif) exploit.

Sur le versant Sud, je retrouve la Grèce que je connais : terre rouge, oliviers, buissons de fleurs, un petit quelque chose d’aimable dans les constructions, plus propres et plus achevées.

Nous descendons jusqu’à Lamia (170m), jolie ville touristique accrochée aux dernières pentes de la montagne qui plonge dans la mer, où un commerçant accepte de tamponner les cartons ; avec un tampon-dateur, arrêté au 10 mars 2010 !

L’orage quotidien nous tombe dessus quand nous quittons Lamia pour partir, par une route en corniche le long de la mer, à la recherche du camping : 20 km de détour (et autant dans l’autre sens) que nous ne regretterons pas ! Le patron nous installe sur la vaste terrasse couverte du restaurant, à 50m de la plage, « parce qu’il va beaucoup pleuvoir ».

Chacun dispose donc d’une table et 4 chaises pour déballer ses affaires (on n’imagine pas quelle quantité  de bazar il peut sortir des sacoches d’un seul vélo), il y a 3 tables pour « cuisiner », 2 pour déguster et cette nuit, ô bonheur, un grand « transat» évitera à mes côtelettes de compter les cailloux : c’est  la vie de château !


Vers une heure du matin, badaboum ! les vannes du ciel s’ouvrent bruyamment, un coup de vent chargé de gouttelettes balaie notre dortoir, Michel recule son matelas en catastrophe et je me félicite d’avoir élu domicile tout au fond de notre asile.

 

J7  (mardi 15 mai)   Stylida – Delphes

Etape : 109km. Cumul : 533km. Dénivelé : 1 824m

L’une des étapes les plus éreintantes du voyage…

Dès que nous nous écartons de la mer, la grimpette recommence.

Le site est celui des Thermopyles, le défilé où Léonidas et 300 spartiates se firent massacrer pour ralentir l’envahisseur perse et pour donner un nom à une marque de chocolats belges !

La pluie a cessé, mais le vent persiste. Toute la journée nous allons rouler face au vent, une sorte de mistral venu du Sud-Est dont les rafales me collent à la route.

Nous déjeunons pourtant fort agréablement, en pleine montagne, à une « kantina » qui propose salades à la feta, souvlaki (brochettes), frites et boissons. En plein désert, à quels clients ? En Grèce comme au Sahara, le désert n’est jamais vraiment …désert.

Après un premier col à 900m, on redescend tout et c’est reparti pour le col de Kaloscopi (1100m) puis encore 1000m de descente, face à un vent glacé ; encore 15 km et une série de rampes pour monter jusqu’à Delphes (700m d’altitude), les dernières me paraissent horriblement raides: je termine à pieds. Pourtant, le lendemain, sur le site archéologique, des touristes français qui nous ont trouvés beaux dans l’effort viendront nous dire leur admiration et se faire photographier à nos côtés ; pour un peu, j’aurais distribué des autographes !


Je suis fourbue, le grand Jacques ne vaut guère mieux, la décision est vite prise : repos demain… Jacquott’ et Michel qui semblent en pleine forme, repartiront en direction d’Athènes et nous nous retrouverons samedi à Corinthe.

J8  (mercredi 16 mai)

Repos et visite du site de Delphes

Le matin, 7 km de marche entre le camping « Apollon » et le site archéologique, puis une longue sieste au bord de la piscine…

Le site est toujours aussi impressionnant, mais j’avoue que la fatigue m’a un peu empêchée de l’apprécier, je n’ai pas eu la courage de monter jusqu’au stade, cet invraisemblable stade perché on ne sait comment tout en haut du sanctuaire. Dans le musée, les deux éphèbes immortalisés par des statues géantes pour avoir remplacé les bœufs du char de la prêtresse d’Apollon, Cléobis et Biton, n’ont pas changé de place ; ils ont toujours l’air de deux grands veaux.


Tout l’après-midi, un invisible troupeau de moutons nous régale d’un concert de clochettes : d’abord en rythme serré comme de la grêle sur un toit de tôle, avec accompagnement de chiens : on les voyait avec l’oreille arriver en rangs serrés ; puis la mélodie s’élargit, avec variations et fioritures : ils pâturent dans la garrigue escarpée.

 

J9 (jeudi 17 mai)     Delphes – Thèbes

Etape : 95 km. Cumul : 628 km. Dénivelé : 870m

Au téléphone, Jacquot et Michel nous ont recommandé d’éviter la petite route qu’ils ont choisie : c’est un affreux casse-guibolles.J8 11 - la seule crevaison du périple

Nous partons sous une petite pluie qui va bientôt se venger de notre relative indifférence. Au passage, un petit arrêt à la Fontaine Castalie, un salut vers l’antre de la Pythie ; pas besoin d’oracle pour savoir qu’on va encore se mouiller ! Pendant deux jours, la pluie ne va guère cesser…

La route monte régulièrement jusqu’à Arahova (1080m), petite ville bâtie en corniche et célèbre pour son artisanat : bois taillés, tapis…La station de ski « Super-Parnasse », toute proche, participe certainement à la prospérité ambiante. Le café où nous entrons, tout dégoulinants de pluie, est meublé de divans profonds et de coussins moëlleux où nous n’oserons pas nous asseoir.

La pluie s’est calmée. La route se déroule  longtemps en belvédère, dans un joli paysage de petite montagne, puis la descente est très progressive, nous n’aurons quasiment plus de montée jusqu’à Thèbes. Nous finissons par une quarantaine de kilomètres à plat, à 250m d’altitude. Pour une fois, le vent est avec nous. La route se glisse au ras des collines, on ne gaspille pas la bonne terre en la bitumant. Nous sommes en Béotie. Dans l’Antiquité, les Béotiens étaient considérés comme des lourdauds, des crétins ; l’organisation actuelle de leur territoire me paraît plutôt intelligente !

Pas de camping à Thèbes et comme il a beaucoup plu,  pas question de bivouaquer dans la gadoue ; nous dormirons donc en ville, à l’hôtel. J’aurais aimé revoir les jolies petites statues de Tanagra présentées au musée municipal ; justement, le fléchage nous y conduit ! …nous conduit à un musée fermé pour travaux…

Thèbes est une ville vivante, animée, avec plein de monde qui musarde sur les places entourées de terrasses engageantes. On vit tard, nous nous endormons en musique dans un hôtel de belle classe (quoique dans nos prix) où les gueux dégoulinants que nous sommes sont accueillis comme des princes, et nos bécanes garées sur du marbre et des tapis moëlleux.

 

J10  (vendredi 18 mai)      Thèbes – Kineta via Eleusis

Etape : 90km. Cumul : 718 km. Dénivelé : 1082m

Nous quittons Thèbes comme nous y sommes arrivés : sous la pluie ; une sale pluie qui mouille, et nous allons copieusement nous tremper jusqu’au milieu de l’après-midi.

Après la plaine,  un nouveau massif montagneux à franchir, celui qui sépare la Béotie de l’Attique (province d’Athènes). Pas très haut (col à 750m) mais les rampes sont plus raides : 7%, 8% et même 10%. Quand nous atteignons le col, notre haleine fume et la brume nous environne…

Arrêt à la première taverna de la descente ; un couple de cyclocampeurs hollandais s’y réchauffe… un agneau aussi, à la broche, avant de se rafraîchir dans nos assiettes. Le cuistot en prélève un beau morceau (la selle, bien sûr : pour des cyclos…), il le pèse devant nous avant de nous le servir avec du pain grillé aillé. Un délice.

A plusieurs reprises, je me trouve à rouler seule, Jacques s’étant arrêté pour ajuster son paquetage ; seule sous la pluie, sur la grand route dans la montagne !  Les camions me font un véritable triomphe, je grandis à mes propres yeux. Et voici qu’un Suédois à sacoches vient me faire un brin de causette. Il roule à côté de moi sur une pente à 9% où j’ai grand peine à ne pas zig-zaguer. Je meurs de frousse ! Il me distance, s’arrête plus loin, me rattrape et reprend 2 dents pour mieux me doubler : crac ! sa chaine casse. Voilà où mène l’envie de frimer ! Mais, je serais bien ennuyée si je me trouvais à sa place.

Je n’avais aucune envie de m’approcher d’Athènes (où j’ai déjà séjourné) et de ses 4 millions d’habitants ; cependant, le patron de l’hôtel nous a dissuadés de « tenter »l’autre route : « vous ne pourrez pas passer et on ne retrouvera même pas vos cadavres ! » Nous voici donc à Eleusis où il est difficile d’imaginer les fameux « mystères » qui ont fait fantasmer tant de lycéens ! Là où se déroulaient les rites d’initiation au culte de la fécondité (beau programme…) on voit des friches industrielles, citernes de stockage d’hydrocarbures – avec l’odeur qui va avec – raffineries, cimetière de bateaux. En comparaison, La Pallice vous a des airs de Saint Trop’.


 

La circulation est dense et nerveuse ; puis d’un coup, nous voici seuls sur la vieille nationale que double une autoroute gratuite. Seuls…avec les chiens ; et au plus fort d’une grimpette deux d’entre eux essaient de déguster du cyclo, ou du moins de la roue arrière. Sales bêtes ! Ici, les chats sont sympathiques et les chiens stupides ; tous prolifèrent et la route tient lieu de planning familial.

Notre route longe la mer, tantôt au ras de l’eau et des petits ports, tantôt plus haut ; Athènes est loin derrière nous ; la voie ferrée et l’autoroute sont accrochées au flanc de la montagne, au-dessus de nous. Un camping se présente, de petites terrasses étagées jusqu’à la mer Egée, la patronne est accueillante : ok, on s’installe pour la nuit. J’ai maintenant une bonne technique pour disposer des vêtements sous mon matelas, aux endroits stratégiques, en prévision de l’échouage final.

Jacquot et Michel ont passé la journée à Athènes, ils se sont bien trempés aussi, nous nous retrouverons demain à Corinthe.


 

J 11 (samedi 19 mai)         Kineta – Corinthe

Etape : 47. Cumul : 765. Dénivelé : 276 m

La route continue de longer la mer, entre 5 et 50 m d’altitude. On se croise et se recroise avec l’autoroute, ce sont les principales montées du jour.

Vers midi, nous sommes sur la passerelle qui enjambe le canal de Corinthe. La surface de l’eau est à 80 m en-dessous de nous, l’entrée du canal à 6 km. La roche rouge a été taillée à la verticale de part et d’autre d’un étroit ruban d’eau bleu sombre, le spectacle est très impressionnant. Justement, tout au bout, un petit cargo vient de s’engager mené par deux remorqueurs, l’un devant, l’autre derrière ; le passage est étroit, le bateau ne cesse de chasser d’un bord à l’autre, au ras des parois rocheuses, on a l’impression que les remorqueurs ont fort à faire pour le maintenir  au centre du canal ; je suppose que dans cet étroit goulet, l’eau est animée de turbulences terribles. Le spectacle est fascinant, nous ne sommes pas les seuls scotchés sur la passerelle à regarder grandir ce bateau finalement pas si petit que cela ! Le canal (commencé par l’empereur romain Néron en 67 et mis en service en 1893 !!!!!!) n’est plus très fréquenté, nous avons eu de la chance.


Le terrain où doivent nous rejoindre Jacquot et Michel se trouve un peu après Corinthe, au bord du golfe du même nom ; on y sert d’énormes assiettes de souvlaki  richement garnies, propres à réjouir le cœur du cyclo-campeur affamé.

Une visite au site archéologique s’impose : sans le barda, nos bécanes grimpent toutes seules ! Nous ne monterons pourtant pas jusqu’aux vestiges de l’Acrocorinthe, la forteresse médiévale, perchée dans la montagne et accessible par un raidillon qui ne nous dit rien qui vaille ; un cyclo à sacoches (nous n’en avons pas vu 10 de tout le voyage…) s’y engage pourtant devant nous

L’Ancienne Corinthe, à 15 heures, est déjà fermée : manque de gardiens… J’aurais aimé déambuler dans la grande rue commerçante de la ville romaine mais ce n’est pas très grave : le site est bien dégagé et les grilles qui l’entourent ne gênent pas les regards ; nous visitons donc de l’extérieur ! Le temple d’Apollon (VIème siècle av JC) a fière allure avec ses colonnes encore droites, sans cannelure ni colifichets…

En revanche, nous ne nous contentons pas de la vitrine d’un artisan qui propose des répliques de vases antiques de belle facture : on trouve de ces passionnés sur tous les sites, ils passent leur vie à essayer de retrouver les secrets de la cuisson ou des vernis des belles poteries antiques,  et les vendent à peine plus cher que les horreurs « made in China » qui pullulent sur le marché. Les vases grecs, voilà un sujet sur lequel je suis intarissable… Jacques en fait vite l’expérience (j’ai déjà eu des élèves moins attentifs…) et l’artisan, qui parle assez bien le français, abandonne ses pinceaux pour venir nous montrer ses plus belles pièces et discuter avec des connaisseurs. Nous n’achèterons qu’un tout petit pot à onguent  mais il est ravi de notre visite, nous raccompagne, sort même nous faire de grands signes quand nous repassons à vélo devant son échoppe. Et je n’ai pas pensé à le photographier à son établi …


Jacquot et Michel nous rejoignent au « Blue Dolphin » en fin de journée, heureux de leur visite d’Athènes mais beaucoup moins du temps qu’ils y ont eu. Ce sera notre dernière soirée à 4.

 

J12  (dimanche 20 mai)     Corinthe – Epidaure

Etape : 86 km. Cumul: 851 km. Dénivelé: 1256 m

Aujourd’hui, Jacques nous quitte pour rejoindre Patras par la route directe et prendre le bateau, d’autres obligations l’appellent. J’ai le cœur serré de le laisser partir tout seul mais… je garde son matelas !

Nous nous séparons donc : Jacques se dirige vers l’ouest en longeant le golfe de Corinthe, nous revenons sur nos pas en direction de la côte égéenne. C’est l’occasion de jeter un coup d’œil à l’extrémité ouest de l’isthme  de Corinthe ; en plus d’un pont assez original puisqu’il s’enfonce dans l’eau pour laisser le passage aux bateaux, on peut aussi voir les vestiges de l’ancêtre du canal, le « diolkos » : ce chemin pavé permettait aux navires, hissés sur des chariots, de couper l’isthme de Corinthe ; au fil des siècles, les roues des chariots ont creusé de profondes ornières qui invitent à méditer sur la fuite du temps…


Pas de cargo cette fois-ci, le canal n’est plus très fréquenté ; puis nous mettons cap au Sud en longeant la côte égéenne, direction Epidaure. Le panorama est somptueux : ciel bleu, pins d’Alep, oliviers, lauriers roses, parfums de garrigue… mais les rampes sont plus souvent à 8% qu’à 5% ; ça monte et ça descend, les altitudes sont modestes mais le terrain plat n’existe pas.J12 7 - nous partageons le même pré

A proximité du site d’Epidaure, le patron de la taverna à qui nous demandons la direction du camping nous indique son pré : nous nous installons au milieu des biquettes ; un autre cyclo français arrive et loue « la » chambre de l’établissement. Soirée souvlaki, et de quoi parlons-nous ? De voyages à vélo, bien sûr.

 

J13  (lundi 21 mai)    Epidaure – Nauplie – Tripoli

Etape : 92 km. Cumul : 943 km. Dénivelé : 1090 m

La journée commence, comme il se doit, par la visite du théâtre d’Epidaure. Nous sommes seuls sur le site, sous un ciel plutôt maussade.

Ce sont des archéologues français (cocorico !!!) qui ont découvert ce joyau en 1 829, enfoui sous une couverture de pins et d’oliviers. Comme tous les théâtres grecs, celui-ci est adossé à la montagne, utilisant le profil naturel du site ; les gradins supérieurs sont donc à l’ombre des pins qui croissent juste au-dessus… 12 000 places, et nul besoin de micro : le moindre chuchotement émis sur la scène s’entend parfaitement du plus éloigné des gradins. De l’orchestra (la scène) on ne peut qu’admirer les proportions parfaites de la cavea (l’ensemble des gradins, la « salle » en somme) qui se déploie en éventail à flanc de colline, vaste mais à peine imposante, nullement écrasante. Les sièges sculptés des magistrats et des prêtres sont encore là, 25 siècles ont à peine écorné cet ouvrage.


Pour les Anciens, les représentations théâtrales avaient un caractère sacré ; nous sommes dans un sanctuaire consacré à Asclépios/Esculape, fils d’Apollon et dieu de la médecine ; autant dire, à Lourdes ! Les guérisons miraculeuses y étaient nombreuses, les ex-voto visibles au musée en témoignent ; malheureusement nous n’en verrons que quelques-uns, à la dérobée, dans le vestibule où nous glissons un œil malgré un rempart de seaux et de balais : c’est l’heure du ménage, on ne visite pas.

Quand nous quittons le site, les autocars déversent une bruyante foule de visiteurs. Beaucoup montent de Nauplie, nous allons y descendre, en pente douce et vent arrière, pas un coup de pédale à donner.


A Nauplie, casse-croûte et promenade. Nous sommes dans une colonie vénitienne, avec un petit fort pour carte postale à l’entrée du port et une citadelle, Fort Palamède, qui domine la ville aux façades colorées et aux rues étroites. Nauplie fut la première ville à se libérer de l’occupation turque en 1 822 et devint la première capitale de la Grèce « moderne » de 1 828 à 1 834.

Encore un peu de plat en longeant la mer Egée, puis nous attaquons l’ascension : le Péloponnèse est un bloc de rocher, il faut s’y hisser. La montée est raide, il fait chaud, le vent est souvent arrêté par le relief : je ruisselle de sueur.J13 11 - ouf!

Au début, dans les creux, la terre est bien travaillée en jardins et oliveraies. Puis les séquences cultivées se font plus rares, il ne pousse dans la montagne que des champs de cailloux.

Nous atteignons Tripoli par la route la plus haute du Péloponnèse. Pas la plus  sauvage : ça, c’est pour demain ! Mauvaise surprise : le camping a disparu. Il y a des hôtels, plutôt chers. Heureusement, Jacquot interprète à la perfection le rôle du pauv’campeur fauché et nous voilà dans une chambre à trois lits pour immigrants clandestins ; les lits sont corrects, les poignées de portes devaient être en option. Après ces 40 derniers kilomètres, il en faudrait plus pour m’empêcher de dormir.

 

J 14  (mardi 22 mai)           Tripoli / Lankadia

Etape : 78 km. Cumul : 1021 km. Dénivelé : 930 m

Nous avons bien ri, dans notre chambre minable où il fallait savoir parler à la chasse d’eau, aux robinets … mais ce qui nous a vraiment étonnés, c’est, le matin, un détachement militaire venu, avec armes et musique, hisser et saluer les couleurs sur la place. Plus étonnant encore, les passants s’arrêtent et se mettent au garde-à-vous : nous sommes dans un pays au patriotisme chatouilleux.22 05

Au départ, sans doute pour ménager nos écus, le copain du patron nous fait cadeau d’un paquet de cartes postales et de DVD de chants liturgiques.

Après la forte montée d’ hier, cette étape aurait dû être reposante : le vent en a décidé tout autrement… Nous avons d’abord traversé la plaine de Tripoli, ovale et archi-plate, avec même un chœur de grenouilles au fond, et entourée de montagnes de tous les côtés. La terre est cultivée avec soin, la route passe au bord sans empiéter sur la bonne terre. Puis nous commençons à monter, par paliers, en corniche. Les petites plaines ovales se succèdent. Une première pointe à 1 255 m, une autre à 1245 sont suivies d’une bonne descente dans un vallon tout-à-fait sympathique qui nous offre fontaines, arbres, herbe verte… Je m’y serais bien installée !

Au détour d’un virage, on entre dans des gorges sévères où jamais le soleil ne pénètre, la rivière a été avalée par le ravin ; quelques rampes plus loin, au sortir d’un virage, nous découvrons la ville la plus étrange (et la plus grecque) de toute la Grèce ! Dans un coude des gorges, accrochée à la paroi qui fait face aux arrivants Lagkadia semble une cité verticale, presque sans rue en dehors de la route en corniche par laquelle nous arrivons. Des maisons qui nous font face, on voit surtout l’empilement des toits de tuiles claires à deux pans, larges et peu inclinés, et les balcons qui surplombent le vide. La pente et les ravines structurent le village, déterminent des groupes de maisons plus ou moins disposés en losanges : on se croirait dans le dessin à l’encre d’un vieux village chinois. Comment peut-on circuler dans un tel village ? que fait-on des Anciens, des handicapés et des femmes enceintes ?

Nous nous arrêtons sur une terrasse de marbre blanc, bâtie en surplomb : elle héberge une collection de monuments aux morts : 1914-1922, année 1940-1941, guerre d’indépendance…Des bustes de marbre aux moustaches altières nous regardent de haut, dans un livre de marbre un beau texte en grec classique exalte l’amour de la patrie en des termes pas du tout pacifistes.


Dans la supérette où nous cherchons des vivres et des renseignements, le regard d’un moustachu me dit clairement que, quand on est une femme, on se cache ! C’est vrai, au fait, où sont les femmes ? à part quelques ancêtres en bas noirs, robe noire et fichu noir, on n’en rencontre guère dans les villages. Quant au terrain de camping, il n’existe que sur la carte. Vu le relief, nous nous en doutions un peu…Nous remplissons donc les poches à eau et ré-enfourchons nos montures.

Quelques kilomètres plus loin, à la sortie des gorges, des pâtures à moutons en petites terrasses entourées de bosquets et de murs de pierre sèche  nous offrent une herbe bien verte dans un cadre…de bergers d’Arcadie ; c’est vrai, nous sommes en Arcadie ! et le berger ne tarde guère, entouré de 50 grandes brebis aux « cheveux » longs, à nous faire une petite visite : Le seigneur du lieu signale aux voyageurs  qu’ils sont sur ses terres et leur offre l’hospitalité. Quelle  prestance ! aussi droit, aussi altier que les « nobles fils du désert », les bergers nomades d’Afrique du Nord ; avec les moustaches en plus. Une question pourtant le travaille : comment se fait-il qu’il y ait 3 tentes alors qu’il n’y a que 2 hommes ? Je dors seule ? ça, alors…

Une nuit dans ce cadre idyllique, au son des clarines : c’est presque dommage de dormir ! Mais les héros commencent à ressentir un brin de fatigue.


 

J15 (mercredi 23 mai)       Lankadia – Olympie

Etape : 75 km. Cumul : 1096 km. Dénivelé : 660 m

 Les dernières étapes seront relativement courtes : nous avons renoncé à faire le tour du Péloponnèse (nous risquions d’arriver 24 h trop tard à Patras), du coup nous avons un délai confortable pour finir ; il faut dire que le maillage routier n’est pas celui auquel nous sommes habitués en France…Donc, nous descendons vers Olympie ; descente toute relative, avec toujours ce vent fort et continu, cette sorte de mistral, en pleine face.

Nous sommes dans un paysage de gorges parfaitement sauvages. Au creux d’une forêt ténébreuse accrochée aux flancs d’un ravin nous franchissons la rivière d’Erymanthe ; Erymanthe ? tilt ! le sanglier d’Erymanthe, l’un des 12 travaux d’Hercule : mettre hors d’état de nuire l’animal monstrueux qui dévastait la contrée. Hercule y est parvenu, mais on ne peut pas dire que le pays soit prospère pour autant… au milieu de nulle part, voici une série de maisons, inachevées, abandonnées, autour d’une usine énigmatique, à vendre ! La Grèce attend peut-être un nouvel Hercule pour retrouver le chemin de la prospérité.


Après ces gorges, le paysage s’humanise. Les pentes sont plantées d’oliviers et d’orangers ; de petits tunnels nous facilitent le passage des derniers mamelons.J15 6 - sous les orangers d'Olympie

Surprise à l’arrivée : le Routard conseillait un terrain de camping aux prestations exceptionnelles. Je me demande bien comment voyagent les « sélectionneurs » de ce guide : les flèches nous ont menés au pied d’un raidillon qui devait bien faire ses 20% ! Nous dormirons donc sous les orangers d’un terrain un peu minable mais installé dans la plaine.

Le temps de s’installer, il est trop tard pour visiter Olympie ; mais pour se faire rincer le maillot il n’y a pas d’heure.

 

J16 (jeudi 24 mai)  Olympie – Kyllinis

Etape : 75 km. Cumul : 1166 km. Dénivelé : 550 m

J’ai compris cette nuit pourquoi Zeus, dieu de la foudre et du tonnerre, s’est installé à Olympie : Quel arrosage ! Pendant une douzaine d’heures, les orages ont roulé dans cette grande cuvette, cette plaine ovale coincée entre les montagnes. Impossible de plier, impossible de rouler, non plus que de visiter : nous n’avions qu’à attendre l’éclaircie. Heureusement qu’un auvent avec tables et chaises de jardin nous a permis d’attendre à peu près au sec.

J’avais découvert le site et son musée une première fois à Pâques sous les fleurs des arbres de Judée puis re-visités dans le froid d’un hiver rigoureux, je découvre la version amphibie. Les énormes colonnes du grand temple de Zeus sont toujours là où les a jetées le tremblement de terre, il y a quelques 2 500 ans, couchées dans l’herbe, les tambours alignés comme les tranches d’un colossal cake de pierre ; on a remonté l’une d’entre elles, pour les JO de 2009. Penser que ce temple gigantesque, conçu comme un défi au temps, n’est resté debout qu’une quarantaine d’années ! C’est le Titanic de l’architecture.


Après Olympie, nous descendons vers l’Ouest, vers la mer Ionienne. 50 km plus loin, nous suivons une petite route côtière bordée de roseaux dans une zone assez ingrate ; mais quand le terrain  s’élève et se couvre d’une belle forêt de pins d’Alep, sans préavis, la route s’interrompt, ou plus exactement une barrière nous interdit de la poursuivre : route privée, résidences privées ouvrant sur plages privées. Prolétaires, s’abstenir. Le pays que nous traversons après cette « réserve à milliardaires » est sans doute le plus désert, le plus isolé que nous ayons rencontré au cours de ce voyage. Pourtant, le camping, en bord de mer est magnifique par ses équipements comme par son aménagement végétal. La grand-mère borgne qui le surveille vaudrait à elle seule le déplacement…elle refait à la main les calculs de la caisse électronique (qui s’est trompée…) et nous accable de prévenances jusqu’à ce que nous lui ayons fait remarquer qu’elle nous gruge.

On dort sous les eucalyptus, leur parfum m’enchante. Sans la tempête, le calme serait parfait ; mais ce soir je comprends pourquoi le dieu de la mer, Poséïdon (Neptune) est couramment appelé l’ébranleur de la terre.

 

J17  (vendredi 25 mai)      Kyllinis – Zakynthos – Kyllinis

Circuit :54km. Cumul : 1 270 km. Dénivelé : 704 m

Repos et tourisme au programme : visite de l’île de Zakynthos (Zante).

Pour atteindre le port de Kyllinis, il faut franchir l’épaulement de Kastro, sans doute pas très haut dans l’absolu, mais drôlement raide. Un fort vénitien le surmonte, il s’y tient justement ce week-end un festival ou des rencontres dont nous ne parvenons pas à saisir exactement la nature ; assurément pas dans le genre frivole : musique religieuse plutôt. En traversant le village, nous tombons en arrêt devant une petite maison très modeste surchargée de statues, frises et autres copies d’antique en céramique : le contraste est plaisant, entre la modestie de la maison et l’orgueil de ce décor emprunté aux plus grands temples ; sans doute est-ce la demeure du céramiste…


La tempête s’est calmée, la balade est agréable : en ferry d’abord, sur nos vélos ensuite. Un mort rentre chez lui par le même bateau, escorté des siens qui répandent force larmes ; comme toujours, les femmes prennent Jacquot à témoin de leur malheur.

Zante est une jolie île escarpée, plantée d’oliviers multi- séculaires, fréquentée par les touristes pour ses plages ; une grande île avec routes et infra- structure touristique, rien à voir avec les îlettes blanches et bleues des Cyclades…Les spécificités de l’île : un saint autochtone, Agios (saint) Dionysos et une réserve naturelle de tortues marines. Impossible d’obtenir un coup de tampon : les commerçants n’en ont pas et la police refuse de prendre ce risque (???!!!???).


En fin de journée, avant d’embarquer pour le retour, nous avons la surprise de voir un ferry décharger 30 ou 40 camions- citernes d’hydrocarbures ; je me demande à combien de temps correspond cette livraison… cela pousse à méditer sur le pillage des ressources non-renouvelables de la planète.

Arrivée au camp in extremis : la grand-mère allait fermer sa supérette ce qui nous aurait condamnés à la diète ; elle n’a pas fait de progrès en calcul. Nouilles, douche, dodo, et une évidence qui commence à poindre : Le voyage s’approche de sa fin.

 

J18 (samedi 26 mai)          Kyllinis – Kato Alyssos

Étape: 61 km. Cumul: 1 331 km. Dénivelé: 294 m

Pour quitter Kyllinis, il a fallu remonter encore une fois (la 3ème) jusqu’à Kastro, avec les sacoches pleines, cette fois-ci. L’ascension commence presque dès la sortie du duvet…2 km plus loin, à 9%, je mets pied à terre.J18 3 - spécialité locale, les artichauts miniature

Déjeuner « gyros-pitta » dans une taverne d’un bourg qui ignore le tourisme : 7€ pour nous 3, vin compris, et le cadeau de la maison : de minuscules artichauts de moins de 2 cm de diamètre, cuits et accompagnés d’un petit verre de « crème d’artichauts » (comme il y a de la crème de cassis ou de mûre) pas désagréable du tout. C’est apparemment la spécialité du coin, on nous en offrira également le lendemain.

Pour notre dernière nuit, nous campons à moins de 40 km de Patras où nous embarquerons demain en fin de soirée ; nous sommes installés sous de vieux oliviers qui atténuent mes regrets des eucalyptus de Kyllinis ; la plage – galets et matelas de varech séché – est toute proche. On aperçoit les superstructures du pont qui enjambe l’entrée du golfe de Corinthe ainsi que les montagnes de la rive Nord.

Ma serviette est restée à Kyllinis, ce qui ne m’a pas simplifié la sortie du bain (de mer) ni de la douche. Nous nous sommes baignés, Michel et moi, pendant que Jacquot, l’hypocrite, restait au sec pour nous prendre en photo ; ou bien pour ne pas se martyriser les pieds sur les galets ?

Plus qu’une nuit ; déjà ? je n’ai pas vu le temps passer.

J19 (dimanche 27 mai)     Kato Alyssos – Patras

Etape :  68 km. Cumul : 1 399 km.   Dénivelé : 250 m, cumul : 15 708m

Sous les oliviers, j’ai dormi comme un loir ; et c’est si bon de dormir sur un matelas  indemne !

Le terminal des ferry pour l’Italie n’est qu’à 20 km, et l’embarquement à 23 h ! Cela nous laisse du temps pour visiter Patras…Après des abords on ne peut plus zoniers, on découvre une ville à l’urbanisme clair, avec des places, des fontaines, des  rues piétonnes, une citadelle (grecque, franque, vénitienne…remaniée tant et plus du VIème au XIXème siècle) des vestiges romains ; une ville où l’on a envie de se promener. La ville est bien entendu à flanc de montagne et le castello bien perché ; basta, on en a vu d’autres ! j’ai pourtant la satisfaction de voir Michel et Jacquot mettre pied à terre avant moi : affaire de pignons, sans doute, mais quand même !


De jeunes Africains essaient de vendre des lunettes de soleil et autres pacotilles aux touristes ; d’autres se cachent plus ou moins le long du rivage que nous longeons pour aller voir le nouveau pont qui enjambe le golfe de Corinthe entre Rhion et Antirrhion : bel ouvrage suspendu à des câbles blancs qui brillent dans le ciel.


Vers 18 h, comme le ciel menace, nous rejoignons le terminal des voyageurs et l’attente commence. Nos vélos attendent avec nous jusqu’au moment où une femme de ménage nous oblige à les sortir : un beau militaire se porte garant de leur sécurité.

Le bateau arrive enfin ; le débarquement est un assez désordonné mais nous restons bouche ouverte à contempler le ballet de l’embarquement des camions. La police des frontières scrute les essieux de chacun : nous sommes à une porte de l’Europe, une porte que voudraient bien franchir les jeunes Africains à qui nous n’avons pas acheté de lunettes de soleil.

Instruits par l’expérience de l’aller, nous avons installé nos matelas dans le meilleur coin du « salon » des fauteuils. 36 heures de traversée ! Nous n’avons plus qu’à prendre notre mal en patience et à commencer  classer dans nos mémoires les souvenirs de ce voyage pas banal. Dire que certains partent en croisière pour le plaisir…

 

Epilogue 

Mardi matin, terre en vue, voici Venise. Les premiers ilots, des îles couvertes de verdure puis à l’urbanisation de plus en plus dense, nous remontons le Grand Canal. Il faut cela pour réaliser que Venise n’est pas une carte postale mais avant tout un grand port et un balcon de l’occident vers la Méditerranée orientale et les surprises de son histoire.

Au moment où nous accostons, la terre tremble en Italie ; nous n’avons rien senti. Mario nous attend sur le quai, aucune fée Carabosse n’a transformé notre carrosse en citrouille : roulez petits chevaux-vapeur, nos jarrets peuvent se reposer pendant que nos cerveaux commencent l’inventaire des innombrables images de ce voyage.


 

« Comment s’est passé votre voyage ? avez-vous aimé ? »

Dans un premier temps, j’ai hésité sur la réponse : Autant notre traversée de l’Espagne, l’an dernier, a été un voyage plaisant, autant celui-ci fut rude.

D’abord, à cause du temps : entre les trombes d’eau des orages et les vents violents et bien souvent défavorables, nous n’avons pas été gâtés.

De plus, le relief de la Grèce ne fait pas de cadeau aux cyclistes ; aux rares cyclistes devrait-on dire : nous n’avons rencontré en tout que 8 « sacochards » et deux groupes d’une dizaine de cyclotouristes en balade dominicale. Les routes, quoique peu entretenues, tracées en des temps où on ne se déplaçait qu’à la force du jarret (humain ou animal), offrent de belles rampes régulières et tirent le meilleur parti du terrain mais on peut monter toute une journée presque sans discontinuer et repartir le lendemain toujours en montée ; ou encore descendre toute une demi-journée, dans le vent et la poussière, ce qui est à peine moins fatigant. On traverse quelques bourgs mais les villages ne sont pas sur la route : on les aperçoit au bout d’un raidillon qui ne donne guère envie d’aller voir de plus près. Peut-être y aurions-nous trouvé les fontaines qui font cruellement défaut au bord de la grand-route…

Il y a quelques terrains de camping près des plages et dans les zones touristiques, mais dès que l’on d’écarte de la côte, les choses se compliquent : ce n’est pas tant l’interdiction (très théorique) du camping sauvage que la difficulté de trouver un emplacement convenable. En plaine, le terrain est cultivé ou couvert de ronces (ou pire) ; en montagne, il faudrait trouver une plate-forme accessible et qui ne soit pas couverte d’épineux ; partout, en l’absence de fontaine, se pose le problème de l’eau : en Espagne, il y avait toujours une fontaine à proximité pour la toilette et la lessive, le contenu des bidons ne servait qu’à la soupe et à la brosse à dents. Cette année, c’est le plus souvent dans les stations-essence que nous trouvions à remplir nos poches à eau et il n’était pas question, ces soirs-là, de shampooing ni de rincer le cuissard ; c’est ce qui nous a amenés à préférer l’hôtel au camping sauvage que nous avons, finalement, fort peu pratiqué.

On ne peut pas dire que la population saute au cou des touristes… d’abord, parce que la barrière linguistique est bien réelle : peu de Grecs pratiquent le français ou l’anglais et le grec est une langue bien déroutante pour les profanes. Et puis, les Grecs ne sont pas des latins ! Ils sont réservés, et même franchement distants dans les zones reculées : c’était à nous de faire les premiers pas et de trouver le moyen d’établir le contact ; à partir de là, ils étaient amicaux – mais jamais obséquieux.

Les voitures circulent, les magasins ne sont pas vides, personne ne semble mourir de faim, pourtant la crise est partout : dans les innombrables carcasses de chiens écrasés qui jonchent les routes qu’aucun service public n’entretient plus ; dans les indices d’une économie parallèle, sans papier ni facture – ni tampon – , avec des prix variables selon le client ; dans les sites et musées fermés par manque de gardiens et de personnel ; dans les écriteaux « à vendre » qui pullulent, surtout autour des villes : bicoque écroulée ou abandonnée depuis des lustres, ossature de béton surdimensionnée d’une villa jamais construite, lopin minuscule, bout de friche sans la moindre trace de viabilisation et pompeusement baptisée « terrain à bâtir ». Et plus que tout, on ressent la gravité ambiante : Il semble que par ces temps difficiles, le bouzouki ne soit plus de mise.  Dès la traversée Venise-Igoumenitsa, j’ai été frappée par le fait que la télévision ne diffusait ni fiction ni variétés mais rien que des informations, commentaires et tables rondes politiques ; souvent, dans un coin d’une terrasse de « taverna » qui n’avait pas d’autres clients, nous avons aperçu des hommes qui formaient un cercle silencieux et grave autour du téléviseur ; l’anxiété ambiante était palpable. On se préparait à retourner aux urnes…

J’avais gardé de mes précédents séjours le souvenir d’un pays couvert de chantiers, au temps où l’Europe, à coups de subventions, arrimait la Grèce à son giron. La poussière des chantiers était balayée… il n’y a plus de chantiers, et on ne balaie plus rien : le pays est inactif et sale.

Pourtant, les bergers aux belles moustaches suivent leurs troupeaux sonores dans les garrigues embaumées, les villes croulent sous les fleurs des bougainvilliers et des lauriers roses, les colonnes des temples ruinés poursuivent leur sommeil millénaire pendant que les touristes se pressent pour admirer cette pérennité.

Il y a 27 siècles, la Grèce a inventé la démocratie. Cela n’empêche que depuis l’âge du bronze – avec la Guerre de Troie – son histoire est un chaos de conflits, guerres civiles, occupations, insurrections, résistances…Pour moi, le miracle, c’est qu’à travers tant de siècles, en particulier 4 siècles d’occupation turque, les Grecs aient conservé leur langue et avec elle l’orgueil de leur identité ; cette langue si déroutante pour les visiteurs, à la phonétique invraisemblable, dans laquelle « né » veut dire oui (en bougeant la tête de droite à gauche et de gauche à droite) et « oki » (en hochant la tête verticalement) signifie non.

Tout est politique en Grèce, parce que la Grèce est la clé européenne du débouché maritime de l’immense Asie vers l’occident. La crise actuelle vient pour une bonne part de l’indulgence de l’Europe naguère plus soucieuse de contrôler la Grèce que d’orthodoxie financière ; les Grecs paient actuellement le prix de la disparition de l’épouvantail soviétique ! Que la donne politique se modifie et on peut parier que la Grèce retrouvera des interlocuteurs compréhensifs ; en attendant, le pays souffre et, soumis à « l’occupation financière », s’organise dans la débrouille comme il s’organisait dans la clandestinité au temps de l’occupation turque.

Finalement, pour moi, trois images résument la Grèce de 2012. Pour la gabegie, il y a l’autoroute grandiose qui traverse le désert des montagnes du Nord à coups de tunnels et de viaducs : pour qui, pour quoi ? Pour le marasme, les innombrables charognes pestilentielles qui jonchent les routes, ces routes si bien tracées et si peu entretenues. Il reste heureusement, pour l’espoir, le berger de Lagkadia suivi de ses 50 brebis, maître du lieu venu acueillir les voyageurs et leur signifier sa protection sur ses terres : c’est le pays de Zorba, la Grèce éternelle de nos rêves, pauvre et fière. Je la crois assez forte pour survivre à la tourmente.

 

 

 

 

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